28 mars 2024
Conférence Collège des Bernardins

« Libre de vivre ? »

This content has been archived. It may no longer be relevant

CONFERENCE AU COLLEGE DES BERNARDINS
JEUDI 25 AVRIL – 20h30 

Pr .Dominique Jacquemin, Professeur à la faculté de théologie de l’Université Catholique de Louvain (éthique de la vie et morale familiale)
Pr. François Goldwasser, Chef du service de cancérolo- gie et chef du pôle spécialités médico-chirurgicales et cancérologie, du groupe hospitalier Cochin.Professeur de cancérologie à la faculté de médecine Paris Descartes.
Dr. Pascale Vinant, Responsable de l’Equipe Mobile de Soins Palliatifs. Groupe hospitalier Cochin

La loi Léonetti (Loi relative aux droits des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005 n°2005-370) propose aux professionnels de santé un cadre de réflexion reposant sur des valeurs comme le respect de la volonté de la personne, la nécessité de l’information du patient et de son entou- rage, le respect de la dignité de la personne, le principe de non-abandon, le soulagement de la souffrance. Elle im- pose des procédures dans la prise de décision médicale : collégialité et traçabilité des discussions. Les situations traitées par la loi Léonetti sont : le refus de l’obstination déraisonnable, le refus de traitement par le patient, les limitations et arrêts de traitement chez un patient hors d’état d’exprimer sa volonté, les directives anticipées, le principe du double effet.

Quels sont les enjeux éthiques et moraux pour la société d’une révision de la Loi Leonetti ? Quel regard la so- ciété, le corps médical et soignant pose sur une personne arrivée au terme de sa vie ? Qui décide et choisit de la fin d’une vie ? Au nom de quoi ? Dans un échange à trois voix, un éthicien et moraliste, un médecin exerçant dans le champ de la médecine palliative depuis de nombreuses an- nées et un professeur de cancérologie nous inviterons à réflé- chir à la question de la liberté de vivre jusqu’au bout, parfois malgré soi ; témoignant chacun d’une longue réflexion inti- mement liée à leur pratique professionnelle mais aussi à ce profond souci de l’Autre.


POUR ALLER PLUS LOIN

TEXTE 1

« Mais c’est un autre regard que celui qui voit l’agonisant comme moribond, ayant bientôt cessé de vivre. Le regard qui voit l’agonisant comme encore vivant, comme en appe- lant aux ressources les plus profondes de la vie, comme por- té par l’émergence de l’Essentiel dans son vécu de vivant- encore, est un autre regard. C’est le regard de la compassion et non du spectateur devançant le déjà-mort.  »

 » Il y a aussi une dimension proprement éthique, concernant la capacité à accompagner en imagination et en sympathie la lutte de l’agonisant encore vivant, vivant encore jusqu’à la mort. » « Encore vivants, voilà le mot important ».Paul Ricoeur – Vivant jusqu’à la mort 

 

TEXTE 2

(…) Forte de ses succès thérapeutiques, la méde- cine moderne s’est réjouie de bannir ou de guérir tant de maladies, de pourvoir à tant d’insuffisances, de remédier à tant d’infirmités. Son succès et sa dure rationalité l’ont quelquefois persuadée de ne voir dans la mort que son échec, et dans la douleur du patient qu’un inévitable effet secondaire. Mais la mort échappe à la médecine; elle appartient à l’humanité. Elle n’est pas l’échec de la médecine. Paisible ou douloureuse, reconnue et vécue dans le respect des heures solennelles, la mort -nous di- sions autrefois une « bonne mort », une « belle mort »- peut consacrer le terme de l’œuvre médicale. La douleur phy- sique, comme toute souffrance, a sa part secrète et person- nelle, inaccessible à l’investigation et à l’action du méde- cin; mais celui-ci peut beaucoup pour la soulager. Il doit au malade qui lui a confié son corps affaibli et meurtri, d’éliminer la douleur par tout moyen proportionné à la peine et au respect du patient. Depuis un demi-siècle, depuis que la médecine maîtrise les techniques néces- saires, l’Eglise recommande, demande aux médecins de lutter contre la douleur avec la même passion que celle dont ils combattent la maladie. Les textes sont là. Impé- ratifs, d’une certaine façon. C’est un devoir de charité et de justice, de ne pas laisser peser sur les patients le poids d’une douleur qui peut être soulagée. C’est un devoir de charité et de justice de procurer aux patients en fin de vie le maximum de liberté paisible et de les assurer d’un soutien médical jusqu’en leurs derniers mo- ments. Les antalgiques majeurs et leur usage approprié amé- liorent considérablement le confort des patients. Il est juste de les administrer autant que de besoin. Pourquoi ne pas souhai- ter que l’œuvre de formation envisagée pour cette Maison mé- dicale comme un service, puisse être amplement assumée par les universités pour la formation des médecins? La dignité de l’homme est de ne pas accepter la souffrance d’un frère qu’il peut soulager et accompagner jusqu’à l’orée de la mort. Les soins palliatifs peuvent représenter pour la mé- decine un défi et un horizon nouveau. Là même où il ne guérit pas, l’être humain peut soulager, apporter l’immense réconfort d’un apaisement de la douleur. Les soins palliatifs dans une maison comme celle-ci, ou bien à domicile, honorent le pacte de confiance qui est à la base de la société humaine. Cette œuvre d’humanité et de charité prémunit les patients, le personnel médical et la société contre l’horrible tentation de donner la mort. Provoquer la mort au lieu de guérir la maladie ou de soulager la douleur, c’est refuser à l’être humain son intime dignité, c’est le priver de sa juste liberté de mourir à l’heure dont Dieu dispose. Oter la vie à qui est appelé à la don- ner, c’est lui enlever une part d’humanité. Nous devons ouvrir les portes à « l’Espérance bienheureuse ». C’est ainsi que, chré- tiens, nous désignons la Résurrection.

Inauguration de la maison médicale Jeanne Garnier 18 janvier 1996, Cardinal Jean-Marie Lustiger

MOTS CLES

Directives anticipées:« Toute personne majeure peut rédi- ger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives antici- pées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions des limitations ou arrêts de traitement. Elles sont révocables à tout moment. A condi- tion qu’elles aient été établies moins de 3 ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant. » (J.Leonetti)

Euthanasie: « L’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable ». (Comité consultatif national d’Ethique, 2000)

Limitation des traitements: « La limitation de thérapeu- tique(s) active(s) désigne la non-instauration ou la non- optimisation d’une ou plusieurs thérapeutique(s) curative(s) ou de suppléance des défaillances d’organes, dont la consé- quence peut être d’avancer le moment de la mort ». (Société de Réanimation de Langue Française)

Obstination déraisonnable: concerne des soins qui, soit ne font plus sens pour le patient, soit sont « disproportionnés » ou inutiles par rapport au bénéfice escompté compte tenu de l’état clinique et du pronostic du patient.

Personne de confiance: « Toute personne majeure peut dési- gner une personne de confiance qui peut être un proche, un parent ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de rece- voir l’information nécessaire à cette fin ».

Principe du double effet: Si le soulagement ne peut être ob- tenu qu’au prix d’un traitement pouvant abréger la vie, il s’agit d’une situation avec double effet : l’effet bénéfique recherché est corrélé à la survenue d’effets indésirables poten- tiels délétères. L’intentionnalité du prescripteur est au cœur de ce principe. Il s’agit ici d’avoir l’intention de soulager au risque de précipiter la fin de vie et non l’intention d’accélérer la fin de vie au nom du soulagement de la souffrance.

Sédation : En fin de vie, la sédation désigne «l’utilisation de moyens pharmacologiques altérant la conscience dans le but de soulager un malade souffrant d’un symptôme très pénible et résistant aux traitements adéquats ou d’une situation de détresse incontrôlée ». (MS Richard, « La sédation en fin de vie »)

Soins palliatifs : Définition par l’OMS (2002) : Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquence d’une maladie poten- tiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés.

REPÈRES

1991 : Le Ministre des Affaires Sociales confie à un méde- cin une mission d’étude sur le développement des soins palliatifs dans notre pays, travail qui sera terminé en mars 1993. L’accompagnement des malades suscite la création de nombreuses associations. La loi hospitalière du 31 juillet introduit les soins palliatifs dans les missions de tout éta- blissement de santé.

1998 : Bernard Kouchner, secrétaire d’État chargé de la santé, déclare que «les soins palliatifs et la douleur sont une priorité de santé publique».

1999: La loi du 9 juin votée à l’unanimité par le Parlement garantit un droit d’accès aux soins palliatifs pour toute per- sonne en fin de vie. La loi institue aussi un congé d’accom- pagnement que peuvent prendre des personnes désireuses d’accompagner un proche en fin de vie

2000 : La Caisse Nationale d’Assurance Maladie définit la contribution du fonds d’action sanitaire et social de la caisse pour le maintien au domicile des personnes en fin de vie.

2002 : La circulaire du 19 février précise l’organisation des soins palliatifs et de l’accompagnement. Elle définit les mis- sions et les modalités de fonctionnement en ce qui concerne les réseaux de soins palliatifs et l’hospitalisation à domicile, la notion de démarche palliative dans tous les services et le concept de lits identifiés soins palliatifs.

2000/2003: Le cas de Vincent Humbert (2000/2003) a cris- tallisé toutes les interrogations et les positions partisanes. Vincent Humbert, un jeune homme de 21 ans atteint d’une tétraplégie secondaire à un traumatisme crânien, a toujours réclamé son « droit à mourir », devenant l’emblème du cou- rant pro-euthanasie.

2005 : Une mission parlementaire est mise en place, prési- dée par Jean Leonetti. De très nombreuses auditions de mé- decins, de philosophes, de sociologues, de représentants des cultes, d’acteurs des soins palliatifs (notamment la SFAP), de représentants du corps social permettent d’éclairer ses travaux. L’ensemble des recommandations émanant du rap- port de cette mission a débouché sur une proposition de loi qui a été adoptée à l’unanimité par 548 voix à l’Assemblée nationale le 1er décembre 2004, puis votée en termes con- formes par le sénat le 12 avril 2005. Promulguée le 22 avril 2005, la loi est parue au Journal Officiel le lendemain

2012 : François Hollande, candidat à l’élection présiden- tielle de 2012, a inclut dans son programme la légalisation de l’euthanasie. Il s’agit de la mesure 21.

18 décembre 2012 : Rapport sur la fin de vie remis au pré- sident de la République. Ce rapport souligne les difficultés d’application de la loi Léonetti, exclut la légalisation de l’euthanasie, envisage les conditions d’une possible intro- duction du suicide assisté, et formule de nombreuses propo- sitions concrètes pour développer la culture palliative en France.