15 octobre 2024

Anges damnés,anges gardiens

This content has been archived. It may no longer be relevant

      Affirmant l’existence de créatures célestes, l’Église croit également que certains anges ont librement refusé Dieu et son règne. Correspondant à un péché impardonnable en raison du caractère irrévocable de leur choix et non pas à cause d’un défaut de l’infini miséricorde divine, ce refus révèle l’enjeu de l’engagement de notre liberté et du combat spirituel qu’il nous faut mener : choisir ou rejeter Dieu, accepter ou refuser de communier à son amour ?

Comprendre l’enfer à partir du Bien originel.

     Cette étude sur l’enfer intervient après celle sur le Bien. Similaire au schéma néoplatonicien de l’exitus/reditus, notre parcours annuel a en effet commencé par une réflexion sur la Création et sur l’état originellement bon comme « sortie de Dieu » (exitus) pour ensuite progressivement y revenir (reditus) avec le Salut (thème de l’année prochaine). En tant que défaut et même absence de bien, l’enfer ne peut être vraiment compris qu’au terme d’une étude approfondie de ce qu’est l’état originel où l’homme était en communion avec Dieu.

      Ce mouvement d’aller et retour trouve également un écho dans la Bible. Alors qu’Is 14 décrit le mouvement d’élévation et d’abaissement de l’ange pécheur, Ph 2 révèle au contraire la dynamique dans laquelle Dieu s’abaisse par son incarnation avant d’être élevé dans la gloire. A la vue de ces deux mouvements inverses, l’enfer doit être compris comme similaire au premier c’est-à-dire comme le refus de participer au mouvement divin.

     Nous comprenons alors qu’au lieu d’être une catégorie spatiotemporelle où l’espace et la durée interagiraient, l’enfer – au même titre que le ciel – est un état et une relation entre l’homme et Dieu. Alors que l’homme béatifié réalise parfaitement sa vocation personnelle puisqu’il est en communion avec son Créateur, l’enfer n’est autre que l’échec de cette réalisation.

L’enfer et le ciel : une relation à Dieu vécue dès maintenant.

       Les premiers siècles de l’Église ont été marqués par une réflexion croissante sur la mort, le jugement, la résurrection et l’enfer. Enrichie d’un imaginaire populaire et artistique, la question du jugement particulier a été statuée au XIVe siècle par Benoît XII. A la mort, alors que le corps est voué à la décomposition, l’âme reçoit quant à elle un état : soit elle accède à la béatitude du Ciel, soit elle reçoit l’enfer de la damnation. Ce jugement particulier prépare l’homme au jugement dernier qui concerne l’union de toute l’humanité à Dieu. Loin d’être deux voies parallèles, l’enfer et le ciel se définissent en terme d’état et de relation à Dieu. Cette relation est d’ailleurs l’enjeu de la foi qu’exprime le Credo. Alors que le chrétien croit en Dieu et confesse sa foi, il sait néanmoins que Satan existe.

        Si l’Église affirme également que tout homme aura dans sa vie la possibilité de choisir un jour le Christ, ce passage par le Messie est nécessaire pour accéder au Ciel : nul ne va au Père sans passer par le Fils (Jn 14,6). Dès ici-bas, l’homme a ainsi la possibilité d’entrer au ciel avec le Christ ou au contraire de s’en écarter et de vivre en enfer. La temporalité qui se déroule entre le jour de la naissance et de la mort d’une personne constitue précisément l’espace de sa relation personnelle à Dieu. Si la mort marque la fin de cette temporalité et de la vie terrestre, l’enjeu de celle-ci est donc de déployer cette relation à Dieu.

Purgatoire, enfer et grâce.

 
Le purgatoire désigne le temps où l’homme doit être purifié de ses péchés et de ce qui l’empêche d’être pleinement attaché au Christ. Bien qu’il ait un début et une fin, ce temps ne doit pas être compris comme une temporalité terrestre mais plutôt comme une intensification dans la relation à Dieu.

         L’enfer est pour sa part irrévocable et consiste concrètement à refuser fermement Dieu en s’enfermant dans son égoïsme. L’enfer est autrement dit, l’absence de Dieu. Si l’enfer était simplement une menace, personne ne pourrait croire en l’espérance de Dieu. Dès lors, son existence nécessite préalablement celle de Dieu.

        Affirmant l’existence de l’enfer, l’Église a eu dans son histoire, la tentation de croire en l’apocatastase en affirmant que tout le monde serait sauvé. Cette position revient cependant à nier le poids et les conséquences historiques des actes humains et finalement la liberté même de l’homme. Si l’Église se garde néanmoins de se prononcer sur la place de certaines personnes en enfer alors qu’elle le fait à propos de la sainteté, elle appelle tous les chrétiens à espérer dans le salut et à recevoir totalement et librement la grâce que Dieu offre gratuitement à tout homme selon sa mesure.

 

Textes rattachés à la séance

 

« L’Ecriture parle d’un péché de ces anges (cf. 2P 2,4). Cette « chute » consiste dans le choix libre de ces esprits créés, qui ont radicalement et irrévocablement refusé Dieu et son Règne. Nous trouvons un reflet de cette rébellion dans les paroles du tentateur à nos premiers parents: « Vous deviendrez comme Dieu » (Gn 3,5). Le diable est « pécheur dès l’origine » (1Jn 3,8), « père du mensonge » (Jn 8,44).
C’est le caractère irrévocable de leur choix, et non un défaut de l’infinie miséricorde divine, qui fait que le péché des anges ne peut être pardonné. « Il n’y a pas de repentir pour eux après la chute, comme il n’y a pas de repentir pour les hommes après la mort » (S. Jean Damascène) » (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1992, n°392-393)

« L’Eglise appelle Purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à fait distincte du châtiment des damnés (…) La tradition de l’Eglise, faisant référence à certains textes de l’Ecriture, parle d’un feu purificateur » (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1992, n°1031).

« Mourir en péché mortel sans s’en être repenti et sans accueillir l’amour miséricordieux de Dieu, signifie demeurer séparé de Lui pour toujours par notre propre choix libre. Et c’est cet état d’auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux qu’on désigne par le mot « enfer ». » (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1992, n°1033)

« L’Ecriture et la Tradition renferment des menaces de jugement et des images effrayantes et terribles de la gravité des châtiments suspendus sur les pécheurs. A supposer que ces menaces et ces images aient un sens, alors c’est assurément, tout d’abord, celui de me mettre sous les yeux la responsabilité qui m’est donnée de par ma liberté. Mais l’Ecriture et la Tradition m’obligent-elles aussi, en raison de ces menaces de jugement, à admettre au-delà de moi-même, qu’un autre, fût-il unique dans son genre, ait chuté en enfer ou bien y soit destiné ? » (Hans Urs von Balthasar, L’enfer, une question, Paris, Desclée de Brouwer, 1988, p.59).

« Avec la mort, le choix de vie fait par l’homme devient définitif – sa vie est devant le Juge. Son choix, qui au cours de toute sa vie a pris forme, peut avoir diverses caractéristiques. Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l’amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l’amour. C’est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent entrevoir de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n’y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable: c’est cela qu’on indique par le mot ‘enfer’ » (Benoit XVI, Spe Salvi, 2007, n°45)

« Si je tape un mur je me fais mal et si je tape avec une grande force je me fais un grand mal.
…et si je tape avec une force infinie, je me fais un mal infini.
Ainsi, moi fini, si je tiens bon, j’arrête la Toute-Puissance, l’Infini souffre en moi limite et résistance, je lui impose ça contre sa nature, je puis être la cause en lui d’un mal et d’une souffrance infinie ! » (Paul Claudel, Le soulier de satin, 1929).