28 mars 2024

Qohelet

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JEUDI 15 MAI  » Le coeur du sage est dans la maison du deuil, le coeur des insensés, dans la maison de la joie »
Qo 7, 4

« Tout est vanité et poursuite de vent » : effort inutile, impuissance? Joie et tristesse du temps qui passe. Sur un ton original et déroutant, le livre de Qohélet explore la condition de l’homme, le sens de la vie, de la perte des illusions à la foi en Dieu.
Hier, Aujourd’hui, Demain, il y a un temps pour tout.
Quel regard sur la joie d’hier?
Comment vivre la joie du jour?
Quelle espérance pour la joie du ciel?


Enseignement sur le livre de Qohelet

Père Alexis Leproux. 15 mai 2014.

Avant d’aborder les thèmes de ce livre, trois remarques permettent d’éviter quelques mécompréhensions. Tout d’abord, le titre Qohelet vient de l’hébreu qahal qui signifie assemblée, appel, ce que le grec traduit par ekklêsia d’où le second titre Ecclésiaste. Il y a donc au cœur du livre l’expérience d’une assemblée qui s’éprouve elle-même comme expérimentant la vie. D’où l’importance de ne pas interpréter l’expérience du sage dans une lecture uniquement personnelle, mais de la relier à la vie communautaire. Puis, vient à la mémoire le célèbre verset « vanité des vanités tout est vanité » (Qo 1,2). A ce sujet, la logique biblique pousse à comprendre « vanité » non dans le sens d’un orgueil mais de la vacuité. Ce vide est celui des idoles, tandis que la gloire est attribuée à Dieu. Ainsi, l’auteur problématise sa question : comment rechercher la gloire, comment une assemblée a-t-elle de la consistance, expérimente-t-elle une densité de vie ? Néanmoins, il est toujours possible de se méprendre en lisant ce verset introductif comme signe du désespoir, de la démission de Qohélet. Au contraire, le sage ne fuit pas. Nous le voyons en prenant une option grammaticale sémitique qui consiste à comprendre « vanité des vanités » comme un superlatif, d’où la traduction : « la plus grande des vanités est de penser que tout est vanité ». Qohélet va donc montrer comment la sagesse est la voie de la densité et la consistance vitales, de la gloire. Son argument est déployé à partir de trois principes : tout passe, tout se répète, tout laisse l’homme insatisfait, guidant une façon de vivre au présent.

 

1-    Tout passe, tout se répète, tout laisse l’homme insatisfait

Au quotidien, nous faisons l’expérience du temps qui passe, durant lequel nous répétons nos activités (horaire de lever, douche, départ au travail ou aux études, messe…), en éprouvant une insatisfaction, ouverture présente même au cœur d’un moment satisfaisant. Nous commençons à percevoir que la seule consistance sera à chercher, à vivre dans le présent.

C’est ainsi que l’expérience du temps qui passe fait entrer tout homme dans l’instant présent, celui où Dieu le crée. La vie est un don actuel : Dieu crée à chaque instant (création continuée). Au cœur de la création, la répétition du culte est le moyen privilégié d’entrer dans la plénitude de vie, dans la demeure de l’être. C’est aussi le lieu de l’expérience conjugale, dans laquelle l’homme et la femme partagent un quotidien et le ritualisent, vivant un lien indissoluble ouvert à la vie dans l’acte charnel. Néanmoins, le temps qui passe et la répétition sont insuffisants pour dire le présent, car la vie est fortement déterminée par le sens donné à l’insatisfaction. Elle est le lieu de l’épreuve de la négativité de Dieu en soi. Le rassasié par le son, l’image… n’a plus de place pour l’Autre que lui-même en lui. Les Béatitudes (par exemple : « Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés », Mt 5,6) ne sont pas un apitoiement élogieux ou complaisant sur l’homme faible (cf. Nietzsche). Il s’agit de reconnaître dans l’insatisfaction – parfois très douloureuse – le lieu pour accueillir Dieu aujourd’hui. Même dans une société riche qui vit très confortablement Dieu laisse toujours cet aiguillon de l’insatisfaction.

2-    Quelques conseils pour vivre au présent

La thèse du livre est la nécessité de vivre pleinement, de s’engager.

Tout d’abord, cela exige à la fois de reconnaître et d’éviter nos fuites. Elles peuvent prendre la forme d’une nostalgie ou d’une idéalisation de notre passé, ou encore d’un désespoir présent qui envisage un changement à venir comme solution à nos problèmes actuels. Face à ces tentations, l’art de la vie se conjugue au présent du regard intérieur qui transforme les épreuves. Certains prisonniers sont des modèles dans cet apprentissage. Davantage, cette vie en plénitude doit être envisagée au niveau communautaire (couple, liturgie, nation…). A ce propos, l’activité professionnelle est un lieu privilégié pour entrer dans la plénitude de vie. L’homme découvre que son travail est plus qu’une valeur marchande mais la porte d’entrée dans une ouverture à l’Autre de lui-même qui l’habite. C’est cet amour intérieur qui donne une densité, une joie au travail, qui est lieu de vocation. Ce propos n’est pas idéaliste. Développé par S. Jean-Paul II dans sa lettre encyclique Laborem exercens (1981), il est aussi vécu dans des métiers difficiles. Par exemple avant d’entrer au séminaire, le Saint-Père avait travaillé dans des conditions très physiques et itératives pour Solvay. Aujourd’hui, le fait de répéter des gestes – souvent dans des métiers peu rémunérateurs et mal vus dans une société de consommation – constitue une porte d’entrée privilégiée. C’est aussi l’expérience monastique. A l’inverse, dans nombre de métiers davantage mis en valeur, l’accès à l’être est rendu plus difficile. Les journées se ressemblent moins et les entreprises peuvent cultiver une tendance au zapping et au superficiel ; la décision de vivre pleinement doit alors être d’autant plus motrice.